Un revenu pour chacun
Tout d'abord, je dois vous parler de Hamed. La première fois que nous nous sommes parlés, il venait de m'interpeler pour partager un paquet de chips. Grand et musclé, la cinquantaine, je l'avais souvent vu à la piscine de Rueil. Ce soir-là, j'appris qu'il vivait dans une voiture, qu'il était sdf. Depuis, chaque rencontre est l'occasion de le connaitre un peu mieux. Parfois il me parle d'un nouvel emploi, mais il ne le garde pas longtemps : il n'accepte pas d'être traité comme un moins que rien, qui doit tout accepter. En hiver, quand un « hôtel » lui demande une retenue automatique sur ses allocations, il ne cède pas, il préfère dormir dehors. L'été est la pire saison pour lui, car les journées sont belles, mais trop longues quand on n'a personne avec qui les partager. Il va tous les jours à la médiathèque et à la piscine – les caissières connaissent sa situation, et le font bien volontiers entrer gratuitement. Pourtant il lui arrive de déserter ces lieux car il ne supporte plus le regard des autres : voilà Hamed le sdf, il fait toutes ces activités, on dirait qu'il accepte son sort. Non, il ne l'accepte pas. Et dans ces moments de doute, ses activités n'ont pour lui plus aucune valeur. Alors il va courir – il lui reste ça – tôt le matin en forêt, car il sait qu'il n'effrayera personne s'il lui prenait l'envie de hurler.
Oui, les années passant, je le connais mieux, et un jour, j'oserai lui dire que recevoir de l'argent pour vivre, ce n'est pas de l'assistanat. Cet argent – qui lui permet d'agir, de participer à la vie de la communauté –, ce serait un droit dans une démocratie digne de ce nom. Les caissières ne font que rétablir un peu de justice. Peut-être que je lui dirai, car j'ai appris qu'un « revenu universel » n'est pas qu'une idée de bobo-baba-cool utopiste, isolé et inconscient de la dureté de la « vraie vie » : Condorcet en parlait déjà, et de nos jours, il est étudié dans plusieurs pays. Pour qu'il finisse par émerger, je ne vois pas d'autres solutions qu'oser en parler autour de soi.
Un revenu universel est un revenu accordé sans conditions à tous les membres d'une communauté politique. Il ne remet pas en cause les autres revenus. Dans l'idéal, il doit suffire pour pouvoir réellement refuser une activité rémunérée. Il doit permettre de se dire « j'ai un revenu pour pouvoir travailler » au lieu de « je travaille pour avoir un revenu ». Il doit correspondre à un véritable geste désintéressé, sans attente. Ainsi, un « revenu universel » apporterait un peu d'argent, mais surtout un peu de dignité à chaque être humain – tous la méritent.